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La Barque et le Radeau

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lundi 6 octobre 2025
Diocèse de Martinique

On peut voir l’Église comme un bateau qui prend la mer. Dans sa version synodale, c’est une barque solide, où chacun rame avec conscience et joie, le vent du Christ dans les voiles

On peut voir l’Église comme un bateau qui prend la mer. Dans sa version synodale, c’est une barque solide, où chacun rame avec conscience et joie, le vent du Christ dans les voiles. Les fidèles ne sont pas de simples passagers : ils sont disciples, missionnaires, porteurs d’un feu qu’ils ont choisi de garder allumé. Ici, la générosité ne s’achète pas, elle se cueille, comme une fleur sur le chemin. Saint Paul n’avait pas tort : « Celui qui sème largement moissonnera largement » (2 Co 9,6).

Sur ce même rivage et selon nos choix la communauté peut être porteuse de structures de péché. Elle ressemble alors davantage à un radeau bricolé de bric et de broc. On y confond les désirs spirituels et les besoins affectifs, l’offrande et les cadeaux intéressés. Chacun rame à sa manière, parfois contre l’autre, parfois pour soi. Les attentes se transforment en pressions et la confiance devient un trésor rare.

Le respect des personnes et des institutions raconte la même histoire. Dans la barque synodale, le prêtre est un frère, parfois un père, mais toujours un compagnon de voyage. On rit, on se corrige avec douceur, on se soutient : la fraternité devient une mer calme où le Christ est le capitaine invisible. « Je ne vous appelle plus serviteurs… mais amis » (Jn 15,15), et chaque rencontre est une brise légère qui porte la barque plus loin. Sur le radeau percé, au contraire, les clercs sont élevés au rang de demidieux, parfois intouchables et adulés ou, au contraire critiqués et diffamés. Les prêtres ploient sous la charge. Le brouillard des rumeurs et des soupçons enveloppe et salit tout. L’omerta, la victimisation, le narcissisme : autant de courants contraires qui empêchent le radeau d’avancer droit et font obstacles au souffle de l’Esprit-Saint.

La parole aussi se différencie. Dans l’Église synodale, elle circule, claire, encadrée, libre. Les accusations se traitent avec justice, et la vérité circule comme un vent purifiant.

Sur le radeau, le mot se déforme, se cache, devient brouillard. La communication y est un labyrinthe, des secrets, des cancans, où l’on se perd avant même de trouver la sortie.

Enfin, la communion entre les membres de la communauté traduit l’état de tout l’équipage. Sur la barque synodale, la confiance est choisie, la solidarité réelle, et chacun connaît sa place sans empiéter sur celle de l’autre. On choisit la confiance et la solidarité adulte : « kolé tèt’, kolé zépol ». La joie de travailler ensemble pour le bien commun devient palpable, presque visible sur les vagues.

Sur le radeau, l’isolement et la méfiance tordent la structure, et chaque pagaie heurte celle de son voisin : tristesse et fatigue gouvernent le voyage.

Alors, quelle mer choisir ? Barque ou radeau percé ? Jésus avait bien résumé : « Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine » (Lc 11,17). La barque synodale n’est pas un conte idéaliste, elle est le chemin de ceux qui osent ramer ensemble, dans la confiance, la liberté et la joie. Et même si la tempête se lève, tant que le Seigneur tient la barre, la barque avance toujours.

+ Fr David Macaire, Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France ■